Fragilités psychiques et travail en petite enfance

Dans une société où le culte de la performance est prégnant, le handicap au travail a encore du mal à trouver sa place. Lorsque celui-ci est psychique1, c’est un parcours du combattant pour se maintenir dans l’emploi. Et en crèche, qu’en est-il ?

Les maladies mentales sont moins bien perçues que les maladies physiques. Il est encore tabou d’avouer qu’on souffre d’une dépression par exemple, il sera mieux perçu de dire « je suis en burn-out » car on sera reconnue comme victime du travail et non responsable de sa maladie (ZAWIEJA)3. Il y a des maladies nobles, tel le cancer, où l’entourage aura davantage de compassion que pour un trouble mental. On entendra dire « oh la pauvre, elle a un cancer », moins « oh la pauvre, elle est bipolaire ». En cause, selon Stiker4, la peur du semblable : « le malade mental renvoie à la dualité que nous portons en nous, à des potentialités qui pourraient nous envahir ». Une peur qui engendre souvent le rejet de l’autre et en crèche, des réticences de la part des directeurs. On pourra d’ailleurs relever des réactions comme « je suis pas assistante sociale ! ». Outre la peur, les directeurs ouvrent les parapluies de la responsabilité en brandissant la pancarte de la sécurité.


Or les affections psychiatriques étaient en 20025 la 2ème cause d’absences de courte durée après les troubles ostéo-articulaires et l’OMS estime qu’en 2020 une personne sur 3 sera touchée par une maladie mentale au cours de sa vie. Il y a donc une forte probabilité de travailler en EAJE en ayant un trouble mental (dépression, bipolarité, troubles anxieux…). Avec la loi de février 2005, la notion de handicap psychique est reconnue. Le 8 aout 2016, la loi travail est venue renforcer l’engagement de la France pour l’insertion des malades atteints de troubles psychiques avec le dispositif d’emploi accompagné. Les directeurs de crèche sont-ils suffisamment préparés à accompagner le personnel touché en tenant compte de l’équilibre de l’équipe dans sa globalité ?


Et quel est l’impact de la maladie psychique sur la prise en charge de personnes vulnérables que sont les enfants ? Ceux-ci ont besoin pour se développer d’un environnement stable, empreint de repères tant sur le plan de l’espace que des personnes de référence qui font figure d’attachement. Accueillir un enfant en crèche nécessite un savoir être comprenant la maitrise des émotions, une empathie, de la patience, de la douceur… Des qualités permettant à l’enfant de s’épanouir sereinement, sans craindre des changements brusques d’humeur ou une ambiance tendue et morose. Mais ne sommes-nous pas tous à un moment donné moins performant dans nos compétences relationnelles et émotionnelles ? Ethiquement, sommes-nous en droit d’exiger un profil idéal du professionnel de crèche ? Au risque de standardiser les équipes à l’extrême, en gommant chacune de leurs aspérités ?

En abordant le sujet avec des directeurs de crèche, l’un d’entre eux m’explique qu’il ne pourrait pas tolérer qu’un professionnel ait une maladie mentale, évoquant les risques potentiels et la sécurité de l’enfant. Autant affective, que physique.


Comment intégrer un professionnel ayant des comportements imprévisibles ? Comment lui accorder sa confiance alors que les familles nous accordent la leur pour accueillir ce qu’ils ont de plus précieux ? Tout dépend encore du trouble dont il est question. La crèche est un lieu d’accueil protégé où des normes socio-éducatives sont instituées par les projets éducatif et pédagogique mais aussi par les fiches de poste remises aux professionnels de la structure. Ils posent le cadre dans le but de circonscrire l’activité et de mettre au centre des priorités : l’intérêt de l’enfant. Les comportements présentant un décalage avec le réel, le vrai (délires, discordances, excès, …) pouvant entrainer chez l’enfant des traumatismes psychologiques sont évidemment proscrits. Quand Michel Jacques-Sone* tient à bout de bras son enfant au-dessus d’un vide de 15 mètres pour le présenter à ses fans, c’est aussi dangereux que lorsque Jacqueline étouffe de câlins les enfants de sa section un jour et le lendemain les rejette violemment. « L’imprévisibilité et la discontinuité auxquelles le nourrisson est soumis constituent en soi un facteur traumatique important du fait de l’impossibilité pour lui d’anticiper les modalités de la rencontre avec l’Autre. »7


Alors que nous évoquons les risques pour l’enfant accueilli, une directrice m’explique que son N+1 était atteint d’un trouble bipolaire et a décompensé au travail. Des décisions fantaisistes aux comportements compromettant l’image du service, ce dernier a fini par quitter son poste pour prendre le temps de se soigner. Elle confie que les équipes étaient compréhensives, mais attribue cela au secteur. Selon elle, dans le sanitaire et social « on laisse passer plus de choses ». Mais, n’est-ce pas le cas dans tous les secteurs ? Quand on connait les personnes, n’avons-nous pas une tendance naturelle à protéger un collègue quitte à couvrir certaines incapacités ou lacunes ?


C’est le cas notamment de l’alcoolisme au travail. Les collègues sentent l’odeur mais n’ont pas de preuve d’un alcoolisme avéré. Quand le diagnostic n’est pas posé, il est difficile d’alerter par peur d’une erreur de jugement. Cette situation démontre aussi que ce qui peut mettre en péril le maintien dans l’emploi, c’est le déni de la maladie ou la peur d’avouer souffrir d’un trouble en raison du risque de rejet de la part des pairs, de la stigmatisation ou de la crainte de perte d’emploi. Et cette crainte est d’autant plus vraie lorsqu’il s’agit d’un trouble mental. Il est beaucoup plus risqué d’avouer souffrir de bipolarité que de diabète, dans un contexte où l’on travaille auprès d’enfants en bas âge.

Car comme le prouve le témoignage cité plus haut, pour beaucoup, la maladie mentale serait incompatible avec le fait de s’occuper d’enfants. Or quand la maladie est équilibrée, que la médecine du travail a déclaré le professionnel apte, et qu’une collaboration étroite a été possible entre celle-ci et le manager avec un aménagement au sein de la structure, le maintien dans l’emploi n’est-il pas envisageable ?


Dans la plupart des cas, l’intégration est possible grâce à un arrangement ou une compensation. Un directeur de crèche relatait qu’une professionnelle au statut RQTH2 avait du mal à se repérer dans l’espace et à mémoriser comment la salle de vie devait être installée. Les collègues devaient régulièrement replacer les chaises, poufs, tapis, à sa place. Néanmoins son intégration s’était bien déroulée car elle apportait une plus-value. Elle avait toujours des remarques pertinentes au sujet des enfants pris en charge, qui faisait avancer la réflexion du groupe lors des réunions. Les professionnels attendent une certaine justice. Si ceux-ci compensent les déficiences d’un collègue, il faudra que ce dernier leur apporte une contrepartie.


Enfin, il ne faut pas négliger l’aspect de bien-être qu’apporte le travail aux personnes atteints de pathologies psychiques. Nombre de sociologues ont étudié le pouvoir du travail sur la santé des hommes, comme Lhuilier et Litim (2009)6 qui considèrent que le « le retour au travail témoignerait d’un « retour à la normale gage d’une meilleure santé et qualité de vie » ou comme « restauration de l’estime de soi et du lien aux autres ». Car être en situation de handicap psychique peut avoir une durée limitée tout comme le fait d’être valide.

Des accidents de vie peuvent mettre à mal la santé mentale. Alors, à quand l’évolution des mentalités dans le domaine de la petite enfance ?



*Le prénom a été modifié pour conserver l’anonymat de la personne

1. Le handicap psychique est caractérisé par un déficit relationnel, des difficultés de concentration, une grande variabilité dans la possibilité d’utilisation des capacités alors que la personne garde des facultés intellectuelles normales. Le handicap psychique est la conséquence directe des troubles psychiques. Source : UNAFAM

2. RQTH : Reconnaissance en qualité de travailleur handicapé

3. Zawieja, P. Le burn-out, mal du siècle. Sciences humaines (290), p59

4. Stiker, H-J. Maladie mentale, société, travail. Vie Sociale 2009/1 (1), 51-59

5. Le Roy-Hatala, C. Le maintien dans l’emploi de personnes souffrant de handicap psychique, un défi organisationnel pour l’entreprise. Revue Française des affaires sociales 2009/1, 301-319

6. Lhuilier, D. Litim, M. Le rapport santé-travail en psychologie du travail. Mouvements 2009/2 (58), 85-96.

7. Araquistain, S. L'enfant face à la maladie mentale de ses parents. Le Journal des psychologues 2008/5 (n° 258)


Article publié sur le site Les Pros de la petite enfance (site excellent par ailleurs, qui constitue une mine d'or en matière d'information dans le domaine de la petite enfance)

La pause

En crèche, on ne dit pas aux parents qu’on va « en pause ». Lorsqu’un parent demande à parler à une collègue partie « en pause » on travestit la réalité comme si avouer avoir besoin d’un répit serait honteux. C’est bien connu, nous sommes des robots avant tout. Nous ne soufflons jamais, nous ne rechignons jamais à la tâche et l’idée même de fermer la crèche à 16h00 pour fatigue collective ne nous a jamais effleuré l’esprit. Alors que prendre soin de soi est aussi important que prendre soin de l’autre.


Serait-ce parce que l’exigence de notre monde moderne serait de ne pas faire de vague et d’être ultra-performant ? De la table aux cheveux, tout est lisse. On ne tolère plus le moindre frisottis d’une atmosphère humide et chargée. On stresse à l’idée de ne pas renvoyer une image polie [et toujours lisse]. Nos enfants échappent encore à la rigueur capillaire, mais pas aux autres. Bouger, sauter, oser courir d’un bout à l’autre d’une salle seraient des signes d’agitation psychomotrice ou d’hyperactivité pour certains. Pour d’autres, des enfants en pleine pulsion de vie en phase avec un processus naturel. Oui lecteur, n’as-tu pas remarqué que nous vivons dans un univers hyper-normatif au détriment de la spontanéité ? Fort heureusement nos attitudes et émotions sont contenues pour revêtir l’équanimité requise auprès des enfants accueillis.


Mais il a été créé un sas, un crachoir, dévolu au rôle de déminage. Les explosions et les émotions peuvent s’y exprimer. Des toilettes au canapé, de la terrasse à la véranda, la pause est nécessaire à chaque organisation humaine et chacune a sa salle dédiée. Chocolat, thé, café, parfois même pâté du Berry, fromage de Savoie et confiture fait-maison, l’ambiance invite au relâchement et rappelle l’univers domestique. Celui où chacun nettoie ses couverts et contribue à la vie de famille.


En crèche, la salle de pause est interdite au public. Invitez un enfant dans ce lieu sacré et vous encourez une peine de lynchage pour outrage à la pause. La salle, si petite soit-elle, voit passer les humeurs des uns et des autres, il y manquerait presque un divan de psychanalyse. Mais surtout en pause, il n’y a pas de téléviseur. Jamais. Nulle part. Parce que la pause a vocation à se parler.


Quand j’ai débuté en direction de crèche, je n’avais pas saisi l’importance de ce sas. À bien des égards il m’avait paru être un frein dans la mise en place d’ateliers le matin. Quand un élément de l’équipe était absent, supprimer la pause permettait un meilleur déroulement de la journée. Car un agent absent ajouté à un agent en pause, c’était deux agents de moins sur l’effectif. Et avec une logique chiffrée, j’arrivais bien souvent à une logique de rationalisation. Nous sommes aujourd’hui dans des systèmes où chaque temps mort est réduit ou supprimé, bien entendu pour ces mêmes intentions louables voire même peu louables (la surproductivité des créations des enfants pour satisfaire des parents-employeurs), mais au détriment d’une vie d’équipe.


Car la pause vient remettre du sens au collectif. On décline des « comment faire » et des « il est impératif de » mais il est aussi urgent de ménager des temps de convivialité auprès de l’équipe (sans tomber dans l’excès inverse où le directeur d’établissement se retrouve animateur GO). Car en vrai, s’il y a bien un truc qui réunit les gens c’est les grands malheurs, les grands bonheurs, mais surtout la bouffe. L’auteur Anne Vega, ethnologue, a étudié comment la pause était nécessaire dans une équipe pour réguler les conflits patents et permettrait une meilleure communication inter équipe1. Si une auxiliaire de crèche n’a pas vidé les poubelles la veille au soir, un membre de l’équipe se chargera de lui faire remarquer en salle de pause.


Il est aussi important de laisser s’exprimer les professionnels qui ont besoin de se retrouver entre eux pour tailler un costard à leur supérieur (que celui qui n’a jamais dit du mal de son chef à la pause me jette la première couche), de tourner à la dérision certaines situations douloureuses vécues avec des parents ou des enfants pour dédramatiser et passer outre lorsqu’on revient en section.


Alors, occupée par un mémoire phagocytant et ses petits frères envahissants (les écrits, les comptes rendus, les analyses…#vismavied’étudiante), j’ai décidé de faire une pause. La pause. Celle qui recentre, régénère et fait en sorte de nous infuser son pouvoir créateur (car c’est en état de pause que la prise de hauteur fait son œuvre).


1. VEGA Anne, 2001. « Pauses et pots à l’hôpital : une nécessité vitale », Consommations et Sociétés « L’alimentation au travail », 2, pp. 137-148

Le nez qui coule

J’ai longtemps réfléchi avant d’écrire cette chronique, il y avait tellement de sujets à aborder, comme le nouveau secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance qui a certainement su s’entourer de fins connaisseurs en matière d’enfance (on l’espère) ou encore le grand débat qui anime la France entière en ce moment : « pour ou contre la tétine ? », ah non… j’ai dû me tromper de débat. Bon tu auras saisi, devant tant de sujets j’ai failli me perdre. J’ai donc opté pour un problème de fond.


J’avais abordé il y a longtemps l’importance capitale de manger ses crottes de nez pour avoir une bonne immunité. L’idée n’avait pas fait fureur (mais elle ne venait pas de moi, une étude très sérieuse l’avait attesté). Parce que j’aime le changement, j’ai décidé d’opter pour une autre texture, de passer à un sujet qui occupe nombre de conversations l’hiver, parce qu’on n’en parle pas assez, parce qu’on oublie qu’on peut s’étonner d’un petit rien, ou parce qu’il nous faut du sensationnel et des images chocs, je vous parlerai : du nez qui coule.


D’ailleurs quand je parle d’images chocs, si je devais nommer une seule chose qui m’a étonnamment choquée quand je travaillais en crèche, ce fut bien le visuel de l’enfant dont le nez coule qui passe sa langue sur la chandelle, et qui l’avale. C’est limite comme image. Je comprendrais d’ailleurs que bon nombre de lecteurs soient heurtés à la lecture de cette chronique peu conventionnelle. Rien ne vous oblige à continuer, il y a une petite croix en haut à gauche qui est tout à fait disposée à être cliquée. Je compte maintenant vous dévoiler ce que la collectivité met en place l’hiver, enfin…, toute l’année, au service des enfants qui ont le nez qui coule. La crèche investit dans des mouchoirs. C’est déjà une bonne chose. Il faut savoir que le budget mouchoirs est au moins égal à celui des couches, si ce n’est plus.


Quand tu travailles dans une entreprise au budget restreint, il y aura parfois des allusions en réunion de directeurs pour limiter les coûts du poste « mouchoirs ». Tout du moins, encourager à ne prendre qu’une feuille pour moucher le nez. Mais une feuille, c’est léger. Tout le monde s’accorde à dire que même toi, adulte, tu prends plus qu’une feuille de papier pour t’essuyer. Tu as envie que l’étanchéité soit telle que les miasmes ne t’effleurent pas la main. Il y a dans cette activité, somme toute anodine du prendre soin, la notion de « sale boulot » développée par Hughes, sociologue américain. C’est-à-dire la confrontation avec les tâches « physiquement dégoûtantes ou symbolisant quelque chose de dégradant et d’humiliant »1 (1951).

Les parents renvoient souvent aux professionnels que les nez ne sont pas mouchés. Moi-même quand j’allais chercher mon fils à la garderie, je déplorais que les coulures aient laissé place à deux traînées sèches, craquelant au moindre sourire. Le regret de n’avoir pu soigner soi-même son enfant apparaît bien souvent, et pour réparation les parents se tournent vers les professionnels pour préconiser des soins, expliquer par le menu comment on fait une DRP2 (à des pros rompues à ce genre d’exercices) ou peuvent prétexter des otites à répétition pour exiger un lavage de nez plus fréquent que la moyenne et avoir ainsi l’assurance que le soin sera fait. Qu’un regard sera porté sur leur enfant.


Stratégies testées et approuvées par le comité des parents contents-d’avoir-une-place-en-crèche-mais-qui-ont-plein-d’idées-pour-améliorer-les-conditions-d’accueil-de-leur-enfant. Ce qui peut renvoyer aux professionnels la désagréable impression qu’on leur reprochent de ne pas avoir fait le boulot. Car si dans la réalité certains professionnels délaissent le « sale boulot » à leurs collègues pour conjurer une représentation de soi « dégradée » par la tâche (en tournant la tête pour ne pas voir, en ayant subitement d’autres tâches élevées au rang de priorité, comme faire les photocopies des dessins de Noël), la plupart s’arment de boites de mouchoirs et de gants imbibés d’eau tiède pour redonner les éléments de confort aux enfants accueillis.

Le gel hydroalcoolique ou le lavage des mains assureront autant l’hygiène prescrite par les protocoles en vigueur mais aussi de « pouvoir soutenir une représentation de soi qui ne soit pas contaminée par la souillure »3. A noter que lorsque le lavage de nez est réalisé, celui-ci ne règle pas définitivement l’écoulement (trop simple). Il y a toujours un deuxième effet kiss-cool, l’après coup, qui est un écoulement certes plus fluide mais bien présent. Vous pouvez multiplier la dernière phrase par 15 à peu près pour vous donner la fréquence des soins du nez sur une … matinée en crèche ?


Une lassitude peut s’instaurer avec cette propension élevée aux soins du nez et l’impression que cette activité vienne interrompre sans cesse le cours de la journée (à noter que l’interruption de tâche est recensée comme un risque psychosocial), de là à dire que le nez qui coule est un facteur de burn-out, il n’y a qu’un pas. Mais je ne voudrais surtout pas faire polémique avec cette modeste chronique.


Si l’intérêt de l’enfant primera toujours sur le confort des professionnels, il est intéressant d’aborder la question en réunion d’équipe, car le prendre soin est une mission à valoriser autant qu’un atelier peinture, tant elle concourt à son bien-être dans sa globalité.


Sinon je vous ai pas dit, je lance une startup sur la fabrication de bouchons nasaux adaptables aux petits comme aux grands nez. Je fais un appel aux investisseurs (j’ai pas réussi à vendre mes cartables et mes sacs à dos à la brocante, parait que c’était pas la période). Sur ce … prenez soin de vous !


1. Everett Cherrington Hughes (1897-1983) cite dans l’article de Dominique Lhuilier (2005). Le sale boulot. Revue Travailler n°94

2. Désobstruction Rhino Pharyngée

3. ibid

Eh, c'est bien ce que tu fais !

Tout le monde a soif de reconnaissance au travail. C’est notre moteur pour avancer, c’est une validation pour continuer, c’est bien plus qu’une valorisation salariale, c’est le reflet de notre identité professionnelle. Notre être tout entier demande à être reconnu pour être bien dans son milieu, sa micro-société, et ses baskets, et le travail est vecteur de cette reconnaissance sociale !


En crèche, les professionnels manqueraient cruellement de reconnaissance. Sur le terrain le malaise est palpable. Car le symptôme le plus courant du manque de reconnaissance, c’est l’absentéisme. L’étude « Absences au travail pour raisons de santé dans l’économie sociale » réalisée par CHORUM1 en 2011 compte 120 arrêts maladie pour 1 000 en crèche (en 2008), contre 81/1000 pour l’ensemble du salariat de l’économie sociale ! Au secours, nos professions auraient elles le vague à l’âme ? Autre symptôme cousin de l’absentéisme qui rendrait chèvre les directeurs de structure, le désinvestissement « ah désolé, je ne pourrais pas faire la fermeture, j’ai déjà pris mon billet » ou bien « pas possible pour moi ce soir, j’ai aqua-poney ». Les stratégies de repli sont nombreuses et peuvent aussi prendre la forme de la procrastination : projets, réunions, nettoyage du matériel remis au lendemain ou à jamais, tout y passe sous prétexte du « à quoi bon » ?


Dis comme ça, on pourrait penser que la chronique a déjà un parti pris. Alors, je t’arrête tout de suite, après avoir abordé le symptôme, on va aller chercher la cause.

Le sociologue C. Dejours évoque dans le besoin de reconnaissance, deux notions incontournables. Le jugement d’utilité « heureusement que vous êtes là ! ». Et le jugement de beauté « Wahou, t’as fait du beau boulot ! ». Pas de panique, je développe. Se sentir utile dans la société, c’est aussi se sentir reconnu. Quand les parents déposent leur enfant à la crèche et nous salue en partant avec un « amusez-vous bien… » on peut typiquement se demander si notre fonction n’est pas réduite au jeu. Au sentiment d’être perçu comme un adulte ne sachant que jouer ou changer des couches et non comme un professionnel ayant un bagage de connaissances, notamment sur le développement psychomoteur de l’enfant. Des à priori relayés dans notre société par les politiques. Sur un site de l’éducation on scande « devenir enseignant sans master c’est possible », si vous êtes mère de trois enfants et plus. Les pères ne sont pas mentionnés (cliché plutôt rétro, je te l’accorde) et on brade un diplôme comme s’il suffisait d’avoir des enfants pour bien s’en occuper. Pas plus tard qu’hier, je prenais le métro et m’apercevais que les agences de garde d’enfant faisait leur promo avec le slogan « venez trouver votre job !». Mais nos professions sont plus qu’un « job », et plus qu’une mission domestique. Prenons l’exemple des agences pour l’emploi qui dévalorisent le secteur de la petite enfance. Une personne de sexe féminin, sans diplôme, se présentant à Pôle Emploi, se verra proposer sans réflexion « vous avez essayé les crèches ? ». A un homme, lui proposons-nous d’emblée cette option ?


Selon Sophie Odena, la femme est cantonnée à sa fonction maternante2, comme si elle n’avait besoin d’aucun savoir spécifique pour rentrer dans le milieu de la petite enfance. Les crèches ne sont pas des fourre-tout ou des tiroirs de la dernière chance. On y accueille l’avenir, le précieux, l’enfant. Reconnaissez-le. Et le manager a un rôle à jouer pour rendre visible, l’invisible. La clef de voûte d’une structure qui roule et dont la mécanique est bien huilée, c’est la logique et le bon sens des professionnels face aux situations à risque ou aux problématiques. La créativité du personnel est une pépite qu’il faut mettre dans un écrin. Les initiatives, les décorations, les projets, les petits riens qui égayent et facilitent le quotidien sont autant d’éléments qui, valorisés, redonnent une motivation et un engagement actif au sein du collectif. D’autant plus que les tâches en crèche sont répétitives. C’est très bien pour l’enfant ! Il a besoin de repères et de stabilité. Mais pour l’adulte, c’est TOUS – LES – JOURS … pareil ! C’est une routine inscrite dans un projet pédagogique. C’est aussi pourquoi j’abordais plus haut les stratégies de retrait des professionnels dans une réalité où la reconnaissance fera défaut, où le travail au quotidien sera source de tensions intérieures (réfréner ses émotions pour apaiser celles de l’enfant), et où l’on rencontrera parfois des professionnels qui s’investiront davantage dans des missions de délégués du personnel, de syndicalisme ou d’autres instances comme le CHSCT en quête de la reconnaissance perdue.


Et si aujourd’hui le site des pros de la petite enfance est autant investi par la communauté des assistantes maternelles, des auxiliaires de puériculture et des titulaires du CAP petite enfance, c’est aussi parce qu’il a une vraie fonction pour lutter contre l’isolement et le manque de reconnaissance des professionnels.

Alors, merci qui ? Non parce que la créatrice du site, Catherine Lelièvre, a aussi besoin de reconnaissance smiley


1. Etude « Absences au travail pour raisons de santé dans l’économie sociale », CHORUM (2011).

2. Odena Sophie. Travailler en crèche : un choix par défaut et une hétérogénéité des professions source de tensions. Politiques sociales et familiales, n°109, 2012. Métiers de la petite enfance : registres et dimensions de l’activité. P 23-33.